L’un des plus gros opérateurs du courtage d’assurances dans le monde, CGSC (Cooper Gay Swett & Crawford Ltd), a ouvert une filiale à Maurice, CGRe Africa. En attendant son entrée en opération, Gavin Southwell, Chief Operations Officer International de CGSC, explique les ambitions de cette société, principalement dans l’Afrique de l’Est
Par Jessen Soopramanien
Le marché de la réassurance a-t-il pu rebondir suivant la crise économique mondiale ?
Depuis 2013, c’est une nouvelle ère qui s’est ouverte à Lloyd’s of London dans la mesure où une femme, en la personne d’Inga Beale, est devenue la première femme PDG de ce marché qui compte 326 années d’existence. Certainement, Cooper Gay Swett & Crawford Ltd, qui est membre de ce marché, essaie, de concert avec les autres, de le moderniser. Et c’est un sentiment très positif qui se ressent à Londres. Le marché de la réassurance est en plein essor. Mais il faut avouer que depuis quelques années, le ‘global business’ à Londres était en déclin. Néanmoins, je suis d’avis, et les autres sociétés de réassurance partagent ce sentiment, que la tendance va se renverser et que le Lloyd’s of London se dirige dans la bonne direction, avec un processus de modernisation des opérations et des services en cours qui rendra les affaires plus faciles.
Comment Londres est-elle devenue le centre financier par excellence du monde ?
Ah ça, il faut remonter dans l’histoire. Le Lloyd’s of London a été le premier émetteur de polices d’assurance automobile. Aujourd’hui, Lloyd’s, c’est l’assureur de tous les cas particuliers comme l’aérospatiale, la technologie de pointe, les industries lourdes et les énergies renouvelables pour ne citer que celles-ci mais aussi dans d’autres extrêmes comme dans l’assurance des voix célèbres ou même des jambes d’actrices ou de sportifs. Le Lloyd’s of London est l’assureur mondial de l’assurance spécialisée. Cette réputation s’est bâtie au fil des années avec une accumulation d’expertises. Depuis plusieurs décennies, Londres est un centre d’expertise, et une bonne partie du capital du monde devait impérativement passer par ce centre financier. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Depuis quelque temps, d’autres centres financiers ont émergé dans plusieurs régions, comme à Miami, New York et l’Inde par exemple. L’avantage de Londres demeure une riche histoire et une expertise accumulée au cours de trois siècles, des atouts qui ne rencontrent presque pas de concurrence. Le Lloyd’s of London fournit un soutien, dans la foulée, aux entreprises d’autres pays grâce à son expertise et l’accès à des capitaux mondiaux. Donc, faire des affaires en Afrique et à Maurice, pour nous à CGSC l’idée est avant tout de soutenir les professionnels avec une compréhension de leur marché local. Nous allons intervenir avec notre expérience et notre expertise dans les questions complexes.
Contrairement à Londres, Maurice ne peut se targuer d’avoir cette riche histoire comme centre financier. Mais à force de persévérer, Maurice peut-il aspirer à devenir une mini-Londres dans cette partie du monde ?
Cela me paraît tout à fait légitime. En tout cas, je l’espère bien. Le plus gros challenge du centre financier de Londres est la surréglementation des autorités de régulation. Mais n’allez pas penser que nous ne soyons foncièrement contre la réglementation ; c’est juste qu’il faut un niveau de régulation raisonnable. En Angleterre, le fait qu’il y avait un seul régulateur pour le secteur bancaire et celui de l’assurance posait un gros souci. Et le secteur bancaire a connu des périodes très difficiles ces dernières années. Donc, les règlements qui avaient été énoncés et appliqués ne concernaient pas le secteur de l’assurance. D’où le besoin de faire la part des choses, car il faut protéger le marché de Lloyd’s afin qu’il puisse opérer de façon efficace et optimale. Au niveau de la CGSC, il a été très difficile d’ouvrir des branches dans plusieurs juridictions de par une réglementation trop rigide. Ceci dit, tout centre financier doit avoir un bon dosage de régulation. L’attrait de la juridiction mauricienne demeure la réglementation, le niveau fiscal et légal de même que la stabilité. Notre société, CGRe Africa, est lancée, nous avons déjà notre permis d’opération et il ne nous reste plus qu’à opérer.
Vous allez donc utiliser Maurice comme plateforme pour vos opérations en Afrique ?
L’économie africaine est en croissance rapide. Les statistiques concernant le marché de la réassurance sont en hausse. L’Afrique de l’Est est une région qui a montré son potentiel depuis un bon bout de temps. La difficulté est de savoir comment faire des affaires correctement dans ces juridictions et comment équilibrer le mélange entre les compétences locales et notre expertise, et comment faire fonctionner la société pour répondre aux règlements et aux normes d’éthique. Utiliser Maurice comme passerelle pour cibler l’Afrique est tout à fait logique.
Il nous revient que des opérateurs en Afrique continentale ne voyaient pas d’un bon œil l’arrivée d’investisseurs étrangers au Botswana. De par votre expérience, quelles seraient les contraintes et difficultés pour investir en Afrique ?
Même si ce n’est que maintenant que la CGSC contemple le continent africain, il faut souligner qu’on a déjà eu des contrats en Afrique, sans pour autant y être basé. Si on met de côté l’Afrique, tout investissement dans un nouveau pays s’accompagne de certaines contraintes, mais qui ne sont pas insurmontables si on possède l’expertise voulue, le savoir-faire et les partenaires locaux sûrs et fiables. Je ne pense pas que l’Afrique soit différente. C’est juste qu’elle est le continent qui n’a pas encore démontré tout son potentiel.
Dans quelle mesure votre société est-elle sérieuse en voulant faire des affaires avec Robert Mugabe ?
C’est une très bonne question. Voyez-vous, en affaires, les décisions ne sont pas que de nature économique et financière. Le principe de la moralité doit aussi être pris en considération. Il existe une liste comprenant des pays avec lesquels on ne devrait pas être en affaires. En tant qu’entreprise, nous allons respecter cette liste et nous nous engagerons auprès des pays avec lesquels nous pensons qu’il est juste de faire du business. Ceci dit, il existe un exemple concret. Dans le passé, des compagnies d’assurances de Londres ont conclu des accords de coopération et de partenariats avec la Birmanie. Décision qui avait été très mal accueillie, même si la Birmanie ne figure pas sur la liste que j’évoquais précédemment. La raison ? L’emprisonnement et la mise en résidence surveillée d’Aung San Suu Kyi, leader emblématique du mouvement démocratique birman pendant 20 ans. Donc, nous sommes très sélectifs concernant les pays où nous voulons faire des affaires en Afrique.
En parlant d’éthique et de moralité, quelles sont vos observations concernant les nombreux scandales entourant des banques et des compagnies d’assurances, dont certaines qui ont été sommées de payer des amendes colossales ?
Il s’agit tout simplement de bien connaître son partenaire. A CGSC, nous avons à cœur le principe de Know Your Client (KYC), basé sur les règles britanniques qui sont les plus strictes au monde. C’est un processus très rigoureux que nous suivons à la lettre. Et jusqu’ici, nous n’avons pas eu de mauvaises surprises car nous avons toujours été sur nos gardes. Malgré tout, vous pouvez adopter l’approche préventive et protectrice, mais on ne sait jamais. C’est la nature des services financiers. L’idée est de prendre autant de précautions que vous le pouvez.
Quel est le poids de Lloyd’s of London sur l’économie de l’Angleterre ? Quelles pourraient être les conséquences si ce marché venait à s’effondrer ?
L’économie britannique est fortement basée sur les services financiers. Si quelque chose de négatif s’abattait sur le Lloyd’s, ce serait désastreux pour l’Angleterre. Ce marché représente une grande partie de l’économie de l’Angleterre, pas seulement en termes d’impôts sur les sociétés et les particuliers. Les représentants de Lloyd’s sont en contact régulier à travers un groupe de travail avec le gouvernement pour assurer que les intérêts soient alignés. La raison pour laquelle le Lloyd’s of London est un succès est que nous ne mettons pas un drapeau britannique là où nous nous installons. Nous trouvons un expert local et nous travaillons en partenariat avec ce dernier. Telle est notre approche, que ce soit en Colombie, en Équateur et au Brésil. Nous croyons que les professionnels d’un marché spécifique comprennent mieux les exigences dudit marché. On ne fait qu’apporter notre expertise.
De nos jours, tout ou presque peut être sujet à une couverture d’assurance. Mais où se situe la ligne de démarcation ?
Voyez-vous, j’ai appris que l’assurance représente l’ADN du système capitaliste. Afin de réussir, toute entreprise doit être couverte par une police d’assurance, que ce soit pour assurer le bâtiment, le transport des marchandises, la couverture de la croissance des cultures ou les employés, entre autres. Il faut pouvoir anticiper l’imprévisible. Mais l’assurance se mesure seulement à sa valeur. Les particuliers et les entreprises n’achèteront pas une police d’assurance s’ils ne peuvent pas réclamer leur paiement. D’où l’importance de la réassurance.
CGRe Africa entre en scèneDe passage à Maurice en août dernier, Gavin Southwell, Chief Operations Officer International de Cooper Gay Swett & Crawford (CGSC) Ltd, était venu pour finaliser les derniers détails de la mise sur pied de CGRe Africa, une filiale de CGSC, société britannique de courtage et de réassurance. Avec l’implantation de CGRe Africa sur le sol mauricien, CGSC lorgnera les marchés de l’Afrique de l’Est dans le domaine de la réassurance dans les secteurs énergétique et minier, eu égard aux forts potentiels de croissance. La Financial Services Commission, autorité de régulation des services financiers mauriciens, a déjà délivré un permis d’opération à CGRe Africa, qui devrait démarrer ses activités avant la fin de cette année.