A mesure qu’augmente le nombre de diplômés sous nos cieux, la bêtise semble gagner du terrain. Y a-t-il alors corrélation entre les deux phénomènes ? Le constat est par moment effrayant : à Maurice, on associe trop souvent, à tort, diplômes et intelligence, alors que la moyenne des diplômés ne présente qu’une intelligence fonctionnelle limitée.
Pourtant, à l’ère de l’information instantanée, du savoir libéré et des connaissances gratuites par le biais d’Internet, on se serait attendu à une montée en puissance de l’intelligence. Les facteurs derrière l’abêtissement ambiant sont multiples et souvent truffés de paradoxes : le système éducatif ne favorise pas l’esprit critique et la créativité chez les apprenants, alors que l’université développe chez les étudiants une complaisance néfaste au développement des capacités intellectuelles, jugées plus importantes par les employeurs que les capacités académiques. De là à dire que Maurice est peuplé de cons en puissance, il y a un pas que l’on n’osera franchir. L’idée n’est d’ailleurs pas de dire que les Mauriciens sont sots, loin de là, mais au contraire d’amener une réflexion sur les causes de cette complaisance, de remettre en question nos capacités intellectuelles, de se demander ce qui cloche et pourquoi certains n’hésitent pas, justement, à traiter notre jeunesse de cloche sans battant. Car, si la tendance actuelle se maintient, dans quelques années, il nous faudra peut-être nous reposer sur l’intelligence artificielle, un domaine qui connaît des avancées spectaculaires depuis le début de cette décennie, pour faire prospérer un pays qui, des années durant, a bâti son développement sur la seule force d’hommes et de femmes réputés moins éduqués que les générations présentes.
Quand connaissance ne rime pas avec intelligence
Louable intention que celle de nos dirigeants de vouloir au moins un diplômé, universitaire s’entend, par famille. Depuis, une pléthore de jeunes, fraîchement « gradués » comme on dit chez nous, débarquent chaque année, en rythme croissant, sur le marché du travail. Pourtant, malgré les compétences académiques, les employeurs rechignent à recruter dans cette masse brandissant diplômes en tous genres sous prétexte que l’intelligence fait défaut. Alors, sommes-nous vraiment cons, comme semblent le penser certains ?
Le poète sétois Paul Valéry disait que l’intelligence est la faculté de reconnaître sa sottise. Au fil des siècles, l’homme a donné à ce mot la définition qui lui semblait la plus appropriée et chacun y allant de son grain de sel, le mot intelligence a aujourd’hui tous les sens possibles et imaginables. Le Dixel, version électronique du Petit Robert, donne la définition suivante à l’intelligence : « Faculté de connaître, de comprendre; qualité de l’esprit qui comprend et s’adapte facilement ». A Maurice, elle se résume presque exclusivement aux diplômes académiques, si bien qu’on tient pour intelligents uniquement ceux ayant fait des études universitaires et qui sont détenteurs d’un diplôme quelconque, le doctorat étant considéré sous nos cieux comme le summum de l’intelligence. Et c’est justement là que le problème se pose. Plusieurs employeurs rencontrés dans le cadre de la préparation de ce dossier clament haut et fort que les jeunes diplômés ont tout sauf de l’intelligence. « C’est le principal reproche que l’on peut faire aux jeunes diplômés. Sans mettre en doute leurs compétences académiques, on en vient parfois à se poser la question sur leur intelligence dans la mesure où peu d’entre eux arrivent à mettre en pratique ce qu’ils ont appris sur les bancs de l’école ou à l’université », nous dit un entrepreneur, qui a dû abandonner ses études assez tôt pour des raisons familiales. Dans le monde, les exemples sont nombreux de ceux qui réussissent sans être passés par la case université. Des noms comme Bill Gates, Steve Jobs, Richard Branson et Mark Zuckerberg reviennent souvent quand on parle du flair des affaires. Pour beaucoup, ces gens ont su mettre en pratique le savoir qu’ils avaient acquis au cours de leur vie, en transformant des idées parfois folles en des produits dont le monde a du mal à se passer.
Le paradoxe des études
Faut-il pour autant bouder les études ? Non, nous répond notre interlocuteur, qui est d’avis que les études peuvent justement nous amener à développer, voire à attiser notre intelligence. Le paradoxe, selon lui, veut cependant que les études tendent à renfermer nos neurones en nous donnant une confiance démesurée dans nos compétences, ce qui constitue un frein à nos capacités intellectuelles. On nage définitivement en plein paradoxe. Et les contradictions ne sont pas près de s’arrêter. Pour devenir plus intelligent, on s’inscrit volontiers à des cours universitaires alors que ceux-ci ne développent en réalité que des compétences académiques qu’on peine souvent à appliquer à la vie réelle.
“Dans le monde, les exemples sont nombreux de ceux qui réussissent sans être passés par la case université. Des noms comme Bill Gates, Steve Jobs, Richard Branson et Mark Zuckerberg reviennent souvent quand on parle du flair des affaires”
Un exemple, les jeunes diplômés savent lire, et même bien lire, mais n’arrivent pas toujours à comprendre ce qu’ils ont lu. Et encore moins appliquer les connaissances ainsi acquises. Une situation qui est ô combien familière pour les responsables des ressources humaines des entreprises. « Un diplôme, c’est bien joli. Mais cela ne veut pas tout dire. Le diplôme ne nous rend pas intelligent ; il vient seulement prouver qu’on a fait des études », nous dit un directeur des ressources humaines, sous le couvert de l’anonymat. Parfois même, certains diplômés peinent à renseigner leurs interlocuteurs sur leur filière d’études, au point que certaines préfèrent de loin recruter des gens sans diplôme mais présentant un minimum de compétences et ayant acquis une expérience pratique.
Intelligence fonctionnelle
Sanjiv, qui fut un temps employé dans une société de développement de logiciels dans le Missouri, aux États-Unis, n’avait pas le diplôme correspondant à son métier. « J’ai fait des études de comptabilité et d’économie. La programmation, c’était un monde qui se trouvait à des années-lumière du mien. Pourtant, quand j’ai passé l’entretien d’embauche, le DRH de l’entreprise m’a clairement fait comprendre qu’il allait me recruter, non pour travailler aux finances, mais dans l’équipe de développeurs. Au départ, j’étais un peu perplexe, pour ne pas dire perdu. Ensuite, au bout de quelques semaines, j’avais compris: ce qui l’intéressait, c’était ma logique mathématique qui devait s’appliquer à la conception des progiciels développés par l’entreprise pour le compte de sociétés engagées dans la gestion de fonds », raconte le jeune homme. De retour à Maurice, il ne peut se résoudre à travailler dans un domaine autre que le développement de logiciels. Mais rares sont ceux qui le voient dans ce rôle. « Pourtant, c’est ce que j’avais fait pendant presque dix ans aux USA », nous dit-il, un brin surpris que sa démarche peine tant à aboutir. Au final, il décide de repartir au pays de l’oncle Sam où, dit-il, on sait reconnaître la vraie intelligence, celle qui est dite fonctionnelle. Quant à nous, alors que nous mettions les dernières touches à ce dossier assez sensible, les paroles de la chanson de Brassens, « Le temps ne fait rien à l’affaire » nous reviennent sans cesse en tête. Peut-être faut-il se rendre à l’évidence : à Maurice, comme ailleurs, quand on est con, on est con, diplôme en poche ou pas !