Le lundi 29 mai 2017, lors de la conférence de presse pour présenter les « détails » de l’emprunt contracté auprès du gouvernement indien, Pravind Jugnauth se vantait des mérites exceptionnels de ce mécanisme, au point de dire qu’il pense patenter les droits de propriété intellectuelle de sa formule.
Selon Pravind Jugnauth, les nouvelles compagnies créées pour réaliser divers projets gouvernementaux auront les fonds nécessaires auprès de SBM Mauritius Infrastructure Development Company Ltd, qui sera l’intermédiaire auprès de l’Exim Bank of India.
Quelques jours plus tard, Pravind Jugnauth présente son deuxième budget consécutif qui, selon lui, va relancer l’emploi, la consommation… Bref, l’économie mauricienne. Deux observations à retenir ici : d’abord, entre les annonces des projets et les provisions financières, il y a une énorme disparité. Ainsi, le projet de rénovation de l’hôtel de ville de Curepipe est estimé à MUR 110 M, mais seules MUR 15 M ont été projetées comme dépenses, et ce, en 2019. Ou encore le projet de rénovation du théâtre du Plaza estimé à MUR 324 M, mais avec des provisions de seulement MUR 10 M pour la période 2017-2018. Deuxième fait troublant à retenir, c’est l’amendement de la Financial Reporting Act afin d’exempter les filiales des compagnies d’État des règlements stipulés dans le Code of Good Governance : “The Financial Reporting Act will be amended to provide that wholly-owned subsidiaries need not comply with the National Code of Corporate Governance if its ultimate holding company is already complying with the same”. De ce fait, la SBM Infastructure Company Ltd n’a pas à s’inquiéter du code de bonne gouvernance.
Le 19 juillet 2017, le secrétaire financier adresse une lettre au ministère des Administrations régionales, donnant des directives sur la procédure établie afin de bénéficier des fonds sous la ligne de crédit accordée par l’Inde. Dans cette correspondance, le secrétaire financier fait référence à une décision prise par le gouvernement le 30 juin 2017 et demande au ministère ainsi qu’aux institutions d’émettre une lettre mandatant l’EXIM Bank of India de s’occuper de l’exercice de sélection des entrepreneurs et fournisseurs indiens pour la réalisation des projets dont la valeur dépasserait plus d’un million de dollars.
Selon les recoupements de Capital, suivant cette lettre, une rencontre avait été organisée par le ministère des Finances avec les responsables du ministère des Administrations régionales, les représentants de l’EXIM Bank, ainsi que les CEO des collectivités locales. Durant cette rencontre, il a été convenu que « 75 % des intrants doivent provenir de l’Inde et les 25 % restants de Maurice ».
Déjà, pour résumer cette situation, comprenons que parmi les 26 projets qui seront financés, seul l’achat de deux pompes à pression au coût de MUR 30 millions ne sera pas sujet au contrôle de l’EXIM Bank. Dans d’autre cas, à titre d’exemple, la mairie de Curepipe va emprunter MUR 110 millions à la SBM Infrastructure Company Ltd et émettre un ordre pour que l’EXIM Bank décide du choix des entrepreneurs exclusivement Indiens. La ville-lumière devra aussi s’assurer que 75 % des intrants seront importés de l’Inde.
Face à l’ingéniosité des négociateurs de New Delhi, on a évidemment bien des questions à se poser sur la viabilité de ce procédé cornélien pour le contribuable mauricien. D’abord, en quoi ce modèle va créer de l’emploi pour les Mauriciens ? Comment, avec 75 % des intrants importés directement, cela va aider le circuit local ? Comment, dans l’ensemble, ce modèle va stimuler l’économie ? Comment nos mairies, déjà déficitaires, pourront-elles rembourser leurs dettes ? A quel titre les institutions locales vont attribuer la responsabilité la plus importante de leur projet à l’EXIM Bank ? Et finalement, à qui profite tout cela ?
Ils sont plusieurs, des conseillers aux fonctionnaires, à décrier les clauses abusives imposées dans l’octroi de cette ligne de crédit. Certains au ministère des Administrations régionales nous expliquent qu’il ne peut y avoir que deux possibilités : « Soit on s’est fait avoir, soit nos gouvernants en sont complices. Dans les deux cas, le peuple mauricien sera le grand perdant ». Un haut cadre d’une mairie nous affirme que « c’est extrêmement dangereux de procéder ainsi. C’est évident qu’on hypothèque l’avenir de nos villes, vu qu’on ne pourra honorer les engagements ». Quant aux conseillers, majorité et opposition confondues, ils sont peu loquaces, car leurs opinions peuvent être perçues comme étant du ‘India bashing’. Ce qui confirme les doutes exprimés par plusieurs observateurs que tout comme dans les négociations portant sur le traité de non double imposition, l’Inde se taillera la part du lion.