Mauritius Telecom : Fumisterie à haut débit

Dans son entretien « exclusif » à notre confrère Business Magazine, le 27 mai 2015, Sherry Singh, CEO de Mauritius Telecom, déclarait : « I request to be judged by my actions and results ». Posture qu’il maintient dans l’émission sur Radio Plus diffusée le mardi 9 août. Capital se prête au jeu de Sherry Singh, dix-sept mois après sa nomination et à la suite de son premier bilan financier, et vous révèle ce que cache ce document.

A contrario de toute la presse qui s’est empressée de conclure que le bilan financier de Mauritius Telecom a un reflet tout rose, Capital vous démontre que, sous cette épaisse couche de maquillage, se cache une entreprise qui risque fort bien de sombrer dans le rouge. Mais d’abord, attardons-nous sur le pourquoi de l’intérêt que nous devons porter à la performance de Mauritius Telecom.

Cela s’explique par le fait que cette entreprise est actuellement l’unique joyau de la République. Elle est la seule société dont l’État est actionnaire à figurer dans le haut du classement des entreprises profitables. Parmi ses autres actionnaires, on retrouve le Fonds national de Pension ainsi que la SBM Holdings Ltd, deux entités éprouvant des difficultés conjoncturelles. De plus, contrairement à l’adage « quand la construction va, tout va », il serait plus approprié, du fait que plusieurs piliers de notre économie dépendent des télécommunications, de dire « quand MT va, tout va ». Cette entreprise, c’est aussi un genre de laboratoire où, au cours des 15 dernières années, les technocrates de l’État ont testé plusieurs de leurs théories et pratiques, avant de les transposer ailleurs dans d’autres institutions étatiques. En somme, la performance de Mauritius Telecom et les pratiques en cours, sont des indicateurs fiables de la santé économique et du niveau de gouvernance du pays. A rappeler que c’est justement la vente de 40 % des actions au sein de Mauritius Telecom, le 6 novembre 2000, qui avait permis au gouvernement de SAJ d’injecter les Rs 7 milliards dans le budget de 2001. Cette pratique de puiser dans les réserves de Mauritius Telecom avait été reprise par tous les ministres des Finances qui se sont succédé. D’où toute la pertinence d’un intérêt particulier.

”Dans le dernier bilan financier de Mauritius Telecom, on note que le rapport de la firme Deloitte, qui assure l’audit externe depuis maintenant une décennie, se limite à 688 mots dont la majorité du contenu fait référence aux provisions stipulées dans la Companies Act 2001 et la Financial Reporting Act 2004”.

Autre aspect trop souvent négligé par les médias ainsi que les citoyens, c’est évidemment l’épluchage du bilan financier. Tout comme lors de la présentation du budget national, on se concentre uniquement sur le discours du budget et les analyses des experts, dont plusieurs doivent leur titre à ces mêmes médias. On fait l’impasse sur ces documents volumineux bourrés de chiffres imprimés en petites caractères.

L’affaire Enron en 1997 avait permis de déceler des pratiques pas très catholiques. Comme par exemple, comment tromper les actionnaires en ayant recours à des techniques de comptabilité assorties d’une communication financière très au point. Un peu à la manière de ces entreprises nippones qui avaient tenté d’escamoter leurs pertes financières en s’essayant au « tobashi » pour dissimuler les mauvaises performances ou investissements lors de la présentation de leurs comptes.

Malgré l’introduction des lois plus rigides et l’implication d’agences externes, notamment les auditeurs à qui les actionnaires confient la lourde tâche de validation, les firmes d’audit ne font que copier-coller le même refrain dans tous les bilans financiers. Ils affirment n’être aucunement responsables des données fournies par l’entreprise, tout en soulignant leur rôle de valider uniquement la méthodologie de comptabilité. Dans le dernier bilan financier de Mauritius Telecom, on note que le rapport de la firme Deloitte, qui assure l’audit externe depuis maintenant une décennie, se limite à 688 mots dont la majorité du contenu fait référence aux provisions stipulées dans la Companies Act 2001 et la Financial Reporting Act 2004. Un service au coût de Rs 4 millions qui connaîtra sous peu une hausse de 50 % pour passer à Rs 6 millions. Se pose alors la question sur l’utilité réelle des auditeurs externes. N’est-ce pas la responsabilité de ces derniers d’avertir les actionnaires sur la progression ou régression de l’entreprise ?

Le « tobashi » de Sherry

La véritable performance du management de Sherry Singh ne peut être évaluée qu’en tenant compte du résultat d’exploitation et des marges générées par la stratégie adoptée. La déclaration de Sherry Singh sur les ondes de Radio Plus selon lesquelles il a réalisé une meilleure performance que 2011 est archi-fausse. Les résultats d’exploitation pour 2011 se chiffraient à Rs 2 317 464 860 alors que pour l’année 2015, ils étaient de Rs 1 248 641 000. Soit une baisse de plus Rs 1 milliard, le pire bilan depuis 2005.

La preuve irréfutable de cette fumisterie :

Année                      Marges générées

  1.   2005       –              Rs 1 540 078 122
  2.   2006       –              Rs 1 858 655 750
  3.   2007       –              Rs 1 776 603 276
  4.   2008       –              Rs 2 003 614 304
  5.   2009       –              Rs 1 739 239 075
  6.   2010       –              Rs 2 218 711 183
  7.   2011       –              Rs 2 317 464 860
  8.   2012       –              Rs 2 206 669 362
  9.   2013       –              Rs 1 781 144 000
  10.   2014       –              Rs 1 326 074 000
  11.   2015       –              Rs 1 248 641 000

(Ndlr : Chiffres extraits des rapports annuels)

Des chiffres qui démontrent que les marges générées de Mauritius Telecom en 2015 ont connu une baisse de 6 % en comparaison au bilan de 2014. Autre élément troublant, c’est l’état du flux de trésorerie chez Mauritius Telecom. Alors que le bilan financier démontre un flux favorable de plus de Rs 2,3 milliards, il s’avère que les créances commerciales et non commerciales s’élèvent à plus de Rs 1,5 milliard. Ce qui prouve qu’un exercice de maquillage, que certains au pouvoir qualifieraient sans doute de ‘Creative Accounting’, a bien eu lieu.

Investissements

Malgré la complaisance adoptée par les médias vis-à-vis de Mauritius Telecom, vu que c’est le plus important pourvoyeur de publicité et que le « media plan » se fait selon les règles de madame, il faut quand même saluer la performance de notre confrère Abdoollah Earally. Il a eu le mérite de poser des questions pertinentes. Cela, même si les réponses de Sherry Singh illustrent parfaitement l’expression « noyer le poisson ».

La question des investissements à l’étranger est un sujet tabou à Mauritius Telecom. Seize ans après l’accord de partenariat stratégique conclu avec France Telecom par le gouvernement MSM/MMM, nul ne sait où sont passés les milliards investis en Afrique avant 2001. La réponse de Sherry Singh sur les risques que comportent les investissements en Afrique est certes ahurissante, vu que des nombreuses sociétés étrangères et des start-up ont réussi à faire une percée sur le continent africain, alors que le CEO de Mauritius Telecom cautionne le rachat complet de la compagnie nationale des télécommunications du Vanuatu, pays situé au sud-est de la ceinture de feu, où les volcans sont encore en activité, et qui est souvent la proie de tremblements de terre et de tsunamis. Un pays qui figure en tête de la « liste grise » des paradis fiscaux de l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE). Pour rappel, Capital avait en 2013 dénoncé ce projet comme étant un cadeau empoisonné de France Telecom qui jouissait d’une emprise sur les conseils d’administration de MT et de Vanuatu Telecom. Dans notre édition précédente, nous vous annonçions que Mauritius Telecom veut maintenant se débarrasser de Vanuatu Telecom. On confirme une fois de plus notre information, malgré le fait que Sherry Singh affirme le contraire dans son message publié dans le rapport annuel.

S’il y a un record qui a été établi par Sherry Singh, c’est bien celui d’avoir tenu l’assemblée générale annuelle des actionnaires la plus courte au monde, soit 27 minutes, pour aborder un rapport de 126 pages. Une assemblée générale où seul deux représentants de la partie mauricienne étaient présents pour une société qui brasse un chiffre d’affaires de plus de Rs 9 milliards et qui attend la nomination d’un président du conseil d’administration depuis 20 mois.

Capital Media

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