Dawood Rawat, Chairman Emeritus, BAI : « Un génocide économique est en cours »

Dans son ouvrage, “Mythe de Sisyphe”, le philosophe Albert Camus disait “Créer, c’est vivre deux fois”. Mais à entendre notre invité de ce mois, la rapacité des autres pour ses créations, a fait de lui, un homme meurtri et proie de certaines vérités. Selon ses dires, le 3 avril 2015, c’était l’assaut final d’une guerre qui aura duré 45 ans. Malgré cela, on découvre un homme implacable, calme et loin de cette étiquette de Don Corleone que lui accordent des médias schizophrènes

Dawood Rawat, d’abord, quelle est votre réaction sur le rapport nTan ?

Le rapport nTan ne présente strictement aucune pertinence. Il s’agit d’un rapport qui essaye de rattraper, après coup, les errements et les injustices commises par le gouvernement mauricien. D’ailleurs, il est révélateur que le gouvernement cherche ainsi à se justifier plusieurs mois après avoir pris les décisions d’expropriation me concernant. Cela prouve donc qu’à l’époque où ces décisions ont été prises, elles n’étaient fondées sur aucun élément précis, aucune véritable justification. Sinon un tel rapport aurait existé avant les mesures, mais pas bien après. Il ne s’agit donc que de l’habillage des décisions illégitimes et illégales prises contre mon groupe.

Ensuite, il y aurait beaucoup à dire. Ainsi, sur la méthode, il faut se demander comment nTan a été choisi ? Comment se fait-il que le gouverneur de la Banque centrale ne soit pas au courant du coût de ce rapport, alors que c’est lui qui a alloué le contrat ? Est-ce que la Banque centrale peut initier une enquête qui dépasse le cadre de la Bramer Banking Corporation ? Est-ce que nTan a effectué des études actuarielles pour conclure sur ce qu’il qualifie d’insolvabilité du pole des assurances ? Toujours sur la méthode, je trouve cela révélateur que le gouverneur de la Banque de Maurice ait choisi de rendre public le rapport alors que ce même personnage a, dans un passé récent, plus précisément dans le cas de l’affaire MCB/NPF, déclaré qu’un rapport concernant une entreprise privée ne pouvait être rendu public. Si c’était primordial, alors pourquoi censurer le rapport ? En ce qui concerne le fond du rapport, l’absurdité est éloquente. Un rapport qui selon les commanditaires est d’une importance capitale mais est imbibé d’incertitudes. On peut donc relever que même ceux qui ont été mandatés par le gouvernement pour couvrir leurs actes se montrent incertains et émettent des réserves importantes.

Par ailleurs, je vous le confirme, la BAI n’a jamais été appelée à soumettre des documents à nTan. Les experts Singapouriens affirment dans leur rapport avoir eu recours aux articles de presse. Est-ce sérieux ? Peut-on parler d’experts lorsque l’on procède à une synthèse d’articles de presse et non à la recherche des éléments de faits ? Le rapport n’est que le refrain des mensonges colportés depuis le début de cette affaire. D’ailleurs la firme singapourienne souligne qu’elle ne peut être tenue responsable du contenu et étonnamment nTan précise ‘We make no representation to any other individual or entity as to the accuracy or completeness of the contents of this report and no such other individual or entity should place any reliance whatsoever on the said contents’. Je vous confie que ce rapport, taillé sur commande, sera d’une extrême pertinence dans notre dossier à charges, vu qu’il ne fait qu’apporter de l’eau à notre moulin.

Que répondez-vous à toutes ces allégations qui pèsent sur vous ainsi que sur votre famille ?

J’apprécie que vous ayez utilisé le terme ‘allégations’ et non accusations comme tant autres. Que répondre ? J’ai passé ma vie, avec beaucoup d’autres personnes, à construire des institutions économiques vitales pour l’Ile Maurice. Jamais, je n’ai volé ou ruiné qui que ce soit. Connaissez-vous un seul client, un seul assuré que le groupe BAI aurait ruiné ? Il n’en existe pas un seul, car il s’agissait d’un groupe solide, viable, sain. C’est le gouvernement qui a été à l’origine des difficultés, qui les a créées, qui les a organisées pour des raisons inavouables et en tout cas certainement pas dans l’intérêt général des Mauriciens. Ainsi, certains politiciens ont instrumentalisé l’appareil d’état pour détruire en une journée, ce que moi et des milliers d’autres avec moi avons consacré 45 ans de notre vie à construire. Je constate que cette épaisse brume de propagande commence à se dissiper et bien des gens commencent enfin à se poser des questions. D’ailleurs j’ai lu un billet de Rajiv Servansingh qui qualifie ce que vous les médias écrivaient : ‘l’affaire BAI’ comme étant un psychodrame. J’ai cherché des mois durant et même au pays de Molière, il n’y a pas de mot assez fort pour décrire ce qui s’est passé.

Comment réagissez-vous aux déclarations de son excellence, le gouverneur de la Banque de Maurice qui affirme que l’affaire BAI est chose du passé ?

Ce n’est pas parce qu’on s’appelle Roi ou parce qu’un titre conféré politiquement, entraine un prédicat honorifique, régi par les conventions, que cela fait de la personne, une excellence. Basant Roi parle aussi de ‘a market that is wired with so many faulty lines’. Il a été gouverneur pendant des années et pourtant, il n’avait rien à dire avant. J’ai trouvé sa photo avec Pierre Guy Noël lors du dîner annuel de la BOM très intéressante. Il devait sûrement parler de l’affaire MCB/NPF. En parcourant les commentaires sur son intervention, je constate que son monologue a été très ennuyeux. Dommage qu’il n’ait pas agrémenté son discours avec les anecdotes de l’épisode de la Delphis Bank. Basant Roi se trompe, la BAI c’est presque un demi-siècle d’histoire. C’est la vie de milliers de familles, avec des réalisations réelles. On ne pourra l’effacer à coups de déclarations. Roi n’est qu’un fantassin dans cette vaste machination qui a pour finalité, un génocide économique.

Si le détonateur de toute l’affaire a été la situation au sein de la Bramer Bank, la crise a pris une tout autre tournure avec les multiples déclarations des membres du gouvernement suivi des révélations de divers administrateurs sur l’insolvabilité de votre société d’assurances. D’où la pertinence de la question : y-a-t-il ne serait-ce, un soupçon de Ponzi ?

Je l’affirme avec fermeté. Il n’y a aucun Ponzi. Je le dis, les experts et les autorités de contrôle l’ont dit par le passé et je le démontrerais à nouveau avec l’intervention de nouveaux experts. Si vous reprenez les faits, vous comprenez bien qu’il ne s’agit là que d’une cabale destinée à me discréditer, à susciter la peur pour justifier des actes odieux. Vous connaissez ce proverbe : Qui veut noyer son chien, l’accuse de la rage. Selon les dires d’André Bonnieux, Senior Partner chez PWC, au début de 2015, cela faisait un bon bout de temps qu’il menait sa petite enquête sur la BAI. Je dois faire ressortir qu’il n’y a pas trop longtemps de cela, la PWC nous avait approché pour offrir ses services. Une offre qui n’avait pas été retenue par les gérants de la compagnie. Ce même monsieur se retrouve ensuite comme administrateur et c’est en cette capacité, qu’il avait rencontré les milliers d’employés de la BAI. à chaque rencontre, avant même de poser des questions sur leur sort, les employés lui demandaient la question qui m’est posé : ‘ Y-a-t-il un Ponzi ?’ Ce à quoi Bonnieux répondait ‘NON’.

Remontons au mois de décembre 2013, quand Paul Bérenger, se basant sur des informations de son conseiller économique d’alors, Vishnu Lutchmeenaraidoo, avait formulé sa PNQ sur la BAI avec des ramifications sur les événements de Trinidad. Déjà à cette époque on voyait fermenter une énième propagande bien huilée visant à me discréditer et à déstabiliser le groupe. Mais ça fait 45 ans que cette campagne infecte dure contre ma personne. Mais là c’était différent. C’était à une période où plusieurs investisseurs de renom avaient suscité un intérêt pour l’ensemble du groupe. Ce qui me fait penser que toutes ces faussetés nous reliant à la BAI de Trinidad avait un but précis. Quand j’ai confronté Paul Berenger à ses dires, il répondit simplement ‘Mo conné zot pena narien pou fer avec seki fine passer Trinidad. Ou conné couma sa été dan politique’. Et puis, la preuve la plus flagrante est le rapport nTan lui-même. S’il y avait un Ponzi, nTan aurait certainement été catégorique.

Quand même ces allégations à propos de l’assurance, doivent reposer certainement sur des faits ?

Comprenez bien que, tous les produits proposés par les sociétés d’assurances doivent être dument validés par le régulateur. Qui est dans ce cas précis, la Financial Services Commission (FSC). Ce qui avait été fait. De plus nous sommes tenus, comme toutes autres sociétés d’assurances, de mener une étude actuarielle annuelle de nos activités par un actuaire indépendant, dont la nomination est approuvée par la FSC. Nous avions retenu les services de Richard Leiser-Banks, pour effectuer l’étude actuarielle annuelle qui consiste à déterminer les hypothèses pour évaluer les engagements de la compagnie d’assurance. Notamment ceux relatifs aux charges, les rentabilités de capitaux engagés et les retraits. Conforme à la réglementation d’assurance, chaque année, ces hypothèses sont réévaluées en examinant les demandes réelles payées, des charges supportées et le rendement des investissements réalisés.

La valeur du passif est donc déterminée et comparée à la valeur des actifs détenus par la société et évalués indépendamment par d’autres professionnels. L’actuaire est requis par la législation sur les assurances pour certifier si les dettes ont été évaluées conformément aux méthodes prescrites par les règles de solvabilité. L’étude entreprise par Richard Leiser-Banks, dont le rapport se trouve en possession de la FSC, est claire sur la solvabilité de la BAI. Vous me parlez des faits ! Sachez qu’en mars 2015, nous avions eu notre ‘Certificate of Solvency’. Le fait, c’est aussi que les produits identiques aux nôtres, sont proposés par d’autres sociétés d’assurances. Tous les responsables qui géraient la BA Insurance sont aujourd’hui à la tête de la nouvelle entité. Allez comprendre.

Lors de sa conférence de presse le 18 décembre 2015, le Premier ministre Sir Anerood Jugnauth, persiste qu’il a dû agir à temps pour éviter que l’histoire de la BAI au Trinidad ne se répète. Comment réagissez-vous à cette déclaration ?

Il essaye de manier la peur des gens pour couvrir ses propres turpitudes. Mais la vérité finie toujours par éclater et il n’y avait aucun risque à éviter. C’est son comportement qui a fait courir les risques. Je note par ailleurs que lors de cette réponse précise, il se dit être mon meilleur ami. J’ai connu l’Anerood Jugnauth des années 80 et je retrouve en lui aujourd’hui cette même verve de haine. C’est vraiment dommage, parce que, quand il est venu me voir chez moi en compagnie de Soodhun, c’était quelqu’un de différent. Vous savez, les valeurs inculquées chez nous prônent le pardon et c’est ce que j’ai fait. J’ai pardonné les torts que les politiciens m’avait faits et en retour ils s’acharnent contre mes enfants pour un crime qu’on n’a pas commis. L’insistance de SAJ à amalgamer la débâcle financière au Trinidad, démontre clairement son état d’esprit et ses intentions. La BAI de Trinidad n’est aucunement liée à ma société et n’a aucun rapprochement avec ma personne. Tout cela n’est qu’une machination monstrueuse visant à m’éliminer.

 

Mais avec tout ce qui a été publié dans les medias ainsi que les déclarations officielles des ministres de la République, difficile de croire le contraire.

Ce sont des déclarations, des dires, des rumeurs… Jamais une démonstration, des faits, des preuves ! Je vous le répète, le génocide économique existe bel et bien. Il y a une épuration en cours paradoxalement brutale, mais subtile. Remontez le temps et vous allez comprendre, qu’un génocide s’accompagne toujours de propagandes. Les médias n’ont jamais compris que la vérité ne se fabrique pas en faisant bouillir des mensonges. Nous avons initié plusieurs procès pour diffamation aggravée contre certains médias et je laisserai le soin à la justice de trancher. Quant aux déclarations des ministres, je trouve que c’est triste que dans un pays, de surcroit républicain, qui se dit intelligent, il suffit de brandir des feuilles de papier, pour prouver la culpabilité de quelqu’un. C’est comme au temps du Far-West, il suffit de crier au voleur et on finit par pendre quelqu’un. La réussite de la propagande nécessite impérativement de la naïveté et l’ignorance. Je suis le Chairman Émeritus du groupe BAI depuis des années déjà. On a eu recours aux meilleures compétences du pays et d’autres venants de toute la planète pour gérer les affaires.

Contrairement aux autres entreprises du privé, nous avions une équipe cosmopolite, où c’était la compétence qui primait. Ceux qui siégeaient au sein des conseils d’administration, entre autres à la banque, sont des professionnels reconnus sur la scène internationale. Croyez-vous qu’ils sont capables d’un pareil complot ? Nos cadres mauriciens sont parmi les meilleurs du pays. S’ils étaient coupables de quoique ce soit, pourquoi sont-ils toujours en poste ? Comment peut-on parler de Ponzi, alors que nos investissements sont visibles ? Est-ce qu’il y a, ne serait-ce, un seul client qui n’a pas perçu ses primes d’assurances ? Comment peuvent-ils s’aventurer à conclure en quelques heures que le groupe se dirigeait vers la banqueroute ? Où est le crime ?

Dawood Rawat, on reproche à la BAI d’avoir continuellement investi dans ses propres filiales qui couraient à perte. D’où les craintes du gouvernement d’une faillite imminente et la nécessité d’agir.

Avec les nouvelles lois régissant le système bancaire et financier, les opérateurs ont dû revoir toute la structure de leurs entreprises. C’est un exercice très compliqué et nous ne sommes pas les seuls à Maurice ou ailleurs dans le monde à avoir besoin de temps pour nous souscrire aux nouvelles dispositions. Savez-vous que jusqu’à tout récemment plusieurs banques avaient comme actionnaires une seule famille ? Nous avions demandé et obtenu une extension de délai auprès des autorités compétentes pour la réalisation de notre objectif. Les négociations étaient déjà à un stade très avancé avec des investisseurs de renom. Il aurait suffi de quelques semaines, pour que tout soit réglé, bien avant l’expiration du délai accordé. Et croyez-moi, si des investisseurs étrangers étaient prêts à investir des sommes si importantes dans notre groupe, après avoir effectué les audits nécessaires, c’est bien que ce groupe était solide et ne reposait pas sur une quelconque fraude.

Qu’en est-il de ces entreprises qui étaient en faillite ?

Je prendrais bien l’hôpital Apollo Bramwell pour illustrer la situation. Au cours des dix dernières années, c’est bien le secteur de la santé qui attire les plus gros investissements. Conformément à la vision de l’état de faire de Maurice un ‘Medical Hub’, nous avons investi, en partenariat avec le géant indien Apollo, dans la création de cet établissement, qui est devenu le fleuron de la région. Le nombre de patients étrangers ne cessait d’augmenter. Les chiffres et les faits sont là pour prouver que nous étions sur la bonne voie. Ce n’était qu’une question de temps pour qu’on devienne profitable. Les fonds investis respectaient parfaitement tous les critères. D’ailleurs les études actuarielles vont dans ce sens. Autre exemple, les chiffres démontrent clairement que nos investissements au Kenya allaient rapporter dans les RS 10 Mds en 2016.

Qu’en est-il de la Bramer Bank ?

Je crois que les aveux d’Anerood Jugnauth en direct à la télévision sont révélateurs à plus d’un titre. Dans aucun pays au monde on aurait cautionné un acte aussi ignoble. Suivant les élections de 2014, des instructions sont données aux institutions publiques, ayant placé leurs fonds chez la Bramer Bank, de transférer tout leurs dépôts ailleurs. Le Premier ministre ainsi que d’autres ministres en font de même afin de créer une tension artificielle, nécessaire pour justifier les actions à venir de la Banque centrale. La BoM entame alors des on-site investigations et détermine sans même nous communiquer les conclusions du rapport, que la Bramer Bank doit injecter RS 3,5 milliards. Nous avions formulé plusieurs autres propositions qui furent rejetées sans aucune considération. En dernier lieu nous avons accepté d’injecter les RS 3,5 milliards réclamées. Ce qui a été refusé par les autorités. Le 2 avril 2015, la BoM accorde un délai de 28 jours pour régulariser la situation. Mais quelques heures après, elle révoque la licence de la Bramer en s’appuyant sur l’article 17 de la Banking Act de 2004 et nomme le fameux Bonnieux comme un des administrateurs séquestres.

Mais une banque ne peut s’écrouler suivant quelques retraits ?

La banque ne s’est pas écroulée par des retraits. Il y a des décisions politiques qui ont retiré à la banque le droit de fonctionner. On a délibérément créée une tension artificielle. C’était pour justifier les actions à venir de la Banque centrale. D’ailleurs, demandez au gouverneur de la Banque centrale pourquoi, il a choisi d’avoir recours à l’application de l’article 17 de la Banking Act au lieu de l’article 11 de cette même loi qui permet la suspension temporaire de la licence mais offre l’opportunité à la banque de remédier à la situation. Ne négligeons point la lettre confirmant l’extension du délai, émise par la Banque centrale le matin du 2 avril 2015. Autre question, comment se fait-il qu’il fallait, selon les estimations de la Banque centrale, injecter RS 3,5 milliards pour activer la Bramer, alors que la relance des activités n’a coûté que RS 200 millions ? Pour mieux répondre à votre question et pour la compréhension des Mauriciens, il faut souligner qu’une banque ne fonctionne pas comme une tirelire. L’argent des déposants est investi ailleurs et quel que soit la banque, si tous les clients se mettent à retirer leur argent, la banque va s’effondrer.

Que répondez-vous à tous ceux qui sont d’avis que vous auriez dû faire face à la justice mauricienne ?

D’abord je tiens à éclaircir le point : pourquoi je suis parti. Mon départ de Maurice pour des traitements auprès de mes médecins soignants était quelque chose de prévue. C’est vraiment abominable que les gens puissent dire que j’étais au courant de ce qui allait se passer et que j’ai fui le pays laissant derrière moi toute ma famille. Au-dessus de tout ce que je possédais, c’est ma famille, dont font partie mes employés, qui comptent le plus au monde. C’est toute ma vie, mes réalisations, mes souvenirs, mes petits-enfants que j’ai laissé derrière. Je me considère comme un exilé et nul ne pourra comprendre la souffrance que j’endure à chaque minute de ma vie. Malgré mon état de santé et contre l’avis de mes médecins, je voulais rentrer tout de suite à Maurice le 3 avril 2015. Mais sur l’insistance de mes enfants, je me suis abstenu. Pour dénoncer ce qui s’est passé et combattre cette injustice, on ne peut le faire que de l’extérieur. La justice dont vous faites allusion, c’est comme des lego aux mains des politiciens ? Celle qui est restée muette alors que l’état enchaînait des actions en toute illégalité ? Je vous rappelle que l’aspirant Premier ministre, leader du parti au pouvoir et député de la République, Pravind Jugnauth sillonne le pays pour dénoncer ce qu’il qualifie de ‘mafia au sein des institutions’. Pensez-vous que j’ai tort de m’en méfier ? En revanche, je ne fuis pas la justice. Tout au contraire. Je la recherche. J’ai saisi un tribunal arbitral international qui aura à juger de cette affaire. Il s’agit d’une juridiction indépendante. Ainsi, on ne pourra pas l’accuser d’être manipulée ou partiale.

Ce silence assourdissant au début de l’éclatement de l’affaire a provoqué une incertitude pandémique au sein du groupe. Ne pensez-vous pas que cela vous a causé un tort irréparable ?

J’ai côtoyé l’Afrique bien avant beaucoup de nos compatriotes et j’ai vu des atrocités commises à l’encontre des entrepreneurs. Mais jamais je n’aurais pu imaginer que dans mon pays natal, qui figure de surcroit parmi les pays les mieux gérés du continent, qu’on en arriverait là. Les déroulements d’avril démontrent que nous n’étions pas préparés à cela, pour la simple raison que nous n’avions rien à nous reprocher. Quant à la perception que dégage ce silence… peut-être ce n’est pas l’exemple qu’il faut, mais je souhaite rappeler les Mauriciens que, ce n’est pas parce qu’on célèbre la Noël que le Père noël existe vraiment. Et vous savez, je ne suis pas un politicien. Je ne souhaite pas parler pour parler. Je suis un homme d’affaires précis, rationnel. Avant de parler, je souhaitais véritablement comprendre quelles étaient les armes dont je disposais pour me défendre.

En parlant de Père noël, vous l’avez bien été pour nos politiciens ?

Je ne suis pas fou, pour sacrifier ma vie à créer des entreprises, faire fructifier les investissements et pour ensuite allez engraisser les politiciens. Croyez-vous imaginable, que je me lève un matin et je me dis : ‘aujourd’hui je vais offrir des voitures toutes équipées à nos décideurs politiques ?’. à chaque fois, ce sont les politiciens qui sont venus vers moi pour demander des faveurs. Depuis que je suis dans les affaires, cela a toujours été le cas. Cette image qui me colle à la peau, n’est que le fruit des fabulations ou propagandes auxquelles je n’ai jamais répondu. Je constate que j’ai pu avoir tort de laisser perdurer ces histoires.

 

Revenons-en à vos relations avec le monde politique. Ils vous ont quand même retourné l’ascenseur ?

Durant 45 ans, la réalisation de chacun de nos projets a été un parcours de combattant. Nous n’avons bénéficié d’aucun traitement de faveur. On a certes eu des terrains à bail de l’état. Mais c’était dans le cadre des projets comme tant d’autres sociétés ou individus. La BAI ne jouit pas d’un patrimoine foncier comme les puissances économiques de l’île, qui sont tous centenaires. C’est grâce à notre vision et notre persévérance qu’on est arrivé à se faire une place parmi les Top 10. Que ce soit les institutions régulatrices, l’establishment de l’état, les concurrents du privé et les médias, on ne nous a pas fait de cadeaux. Les 45 ans de la BAI ont été 45 ans de lutte. Il n’y a absolument personne, ni Berenger, Duval, Jugnauth, ni moins Ramgoolam qui peut se mettre en face de moi et dire le contraire. L’expérience qu’on a eue avec la réalisation d’Apollo Bramwell illustre parfaitement ce que nous avons subi. J’invite volontiers les gens à aller vérifier les documents officiels pour constater ce que la BAI a bénéficié des gouvernements successifs. La rénovation de l’hôtel du gouvernement avait été obtenue sur la base de notre offre. En ce qu’il s’agit des voitures, tous les concessionnaires ont obtenu des contrats et nous sommes loin d’être ceux qui ont été favorisés. Il existe des procès-verbaux avant que je devienne Chairman Emeritus, où j’ai donné des directives pour ne pas participer dans les appels d’offres publiques. J’en avais marre de toutes ces humiliations et des faveurs que demandaient des élus. J’ai débuté dans les assurances et j’ai toujours travaillé avec le public directement et je voulais que ça soit ainsi.

A quoi ça sert alors de céder aux demandes des politiciens ?

En toute honnêteté, c’est pour avoir la paix. Un refus peut vous couter cher. Vos dossiers en attente de validation dans les ministères peuvent simplement disparaitre. Vous risquez de subir toutes sortes de contrôle hors normes. Votre chantier se transforme par enchantement en terrain miné. Des questions parlementaires se pointeront sur vos entreprises. On n’a rien à cacher, mais pour l’image c’est dérangeant. La question, qu’il faut se poser, c’est à quoi servent nos honorables députés et ministres ? Plus je réfléchis, plus je crois que Hervé Bazin avait raison de dire que “L’honorabilité n’est que la réussite sociale de l’hypocrisie”. Mais ce ne sont pas les politiciens qui construisent une entreprise, un groupe, une économie. Il ne faut pas céder à leurs demandes. Il faut toujours garder en tête le seul objectif du développement économique de votre groupe pour les bienfaits de l’économie nationale dans laquelle il s’insère.

On sent chez vous de l’amertume à chaque fois que vous parlez du ‘système’. Qu’est-ce qui vous dérange dans le système ?

D’abord, c’est moi qui dérange le système. Ce qui se passe à Maurice n’est pas le fruit de mon imagination. Ce sont les réalités économiques dont ignore la majorité des Mauriciens et que se rendent complices les autres. Dans son livre ‘The Franco – Mauritian Elite : Power and Anxiety in the face of Change’, le Dr Tijo Salverda, anthropologue hollandais, a décrit comment le secteur privé traditionnel à Maurice a fait pour garder une mainmise sur le contrôle de l’économie. Depuis notre indépendance, tous les partis politiques, peut-être moins le PMSD, ont dénoncé systématiquement cette hégémonie oligarchique qui paralyse l’économie mauricienne. Tout en ayant renoncé à une participation à découvert dans le pouvoir politique, ils se sont assurés du contrôle du pays. Tous les gouvernements successifs depuis l’Indépendance se sont retrouvés otages de ces familles. La démocratisation de l’économie, le partage du gâteau national, ne sont que des slogans creux qui nourrissent l’espoir du peuple. En contrôlant les terres, le secteur de la production énergétique, l’accès au capital, en monopolisant des secteurs comme le tourisme, le secteur manufacturier, les services financiers et les banques, ces familles forment le vrai système. Il existe aussi une deuxième couche qui se superpose au système. C’est le capitalisme de l’état qui est sous le contrôle de ce qu’on appelle ‘l’establishment’ qui assure le contrôle de l’administration. Mais le pire c’est que les Mauriciens souffrent de ce qu’on appelle le ‘Syndrome de Stockholm’. Ils sont éperdument amoureux de leurs ravisseurs. Pendant 45 ans j’ai été un emmerdeur pour le système. J’ai dérangé le système lorsque j’ai osé faire une percée dans des secteurs qui étaient jusqu’ici réservés à une catégorie de gens. L’apartheid économique est bien vivant chez nous et cela perdure grâce à la complicité de nos politiciens. Si je suis coupable d’une chose, c’est bien d’avoir défié un système qui date du siècle dernier. Je confesse que c’est mon seul et unique crime.

Votre amitié avec Navin Ramgoolam, vous a coûté cher ?

Encore des balivernes gratuites fabriquées par des personnes mal intentionnées. Les relations avec la famille Ramgoolam datent de 1932, quand mon grand-père Goolam Mahomed Dawjee Atchia (GMD Atchia) avait financé les études en médecine de Sir Seewoosagur Ramgoolam. Chit Dukhira lui avait rendu un hommage, il y a quelque temps de cela quand il avait retracé les contributions de GMD Atchia dans l’économie mauricienne et les discriminations dont il était victime à cause de ses origines. Ceci dit, je n’ai obtenu aucune faveur de la famille Ramgoolam. Savez-vous les choses que j’ai du endurer sous le régime Ramgoolam ? Pas par lui personnellement, mais son entourage et tout puissant qu’il se croyait, il était lui-même l’otage d’un système colonial qui ne cesse de se renforcer sous les différents régimes que nous avons connus depuis notre Indépendance. Pour en revenir à votre question, SAJ affirme qu’il est mon meilleur ami, alors que les médias me qualifient comme l’ami de Ramgoolam. Il est évident que nous ne partageons pas la même définition. J’éviterai de me prononcer dessus afin de ne point faire perdre espoir aux jeunes en ce magnifique sentiment qu’est l’amitié.

Dawood Rawat, éprouvez-vous le sentiment d’avoir été trahi par vos proches collaborateurs ?

Acceptez quelconque trahison équivaut à accepter une certaine culpabilité. Non, je n’ai pas été trahi car je persiste que je n’ai fait aucun mal. J’ai employé les meilleures compétences pour gérer les affaires du groupe et on a fait de notre mieux. D’ailleurs la grande majorité d’entre eux sont toujours en poste. Ce qui me blesse par contre c’est cette complicité de certains qui se sont fait instrumentalisés dans un vaste complot ourdi pour effacer complètement le groupe qui dérangeait un système. Ces gens-là se sont trahis eux-mêmes, ainsi que les milliers de leurs collègues.

Le journaliste caricaturiste chez l’express, POV a réalisé un BD, ‘ L’affaire BAI pour les couillons’. Votre réaction ?

Je ne l’ai pas encore vu mais j’ai par contre lu des articles disant que ce BD ambitionne de simplifier toute l’affaire. Ça doit certainement être un chef d’œuvre, vu la complexité de l’affaire et lui qui arrive à tout simplifier. J’espère qu’il a inclus l’épisode où le conseil d’administration de La Sentinelle a refusé notre participation au sein du groupe, sur la base que nous étions culturellement incompatibles. J’ai vu aussi que ce triste monsieur a abusé de ses crayons pour dénigrer ma fille. Cela reflète amplement les valeurs morales qu’on partage dans les salles de rédactions et en termes de dépravations, ils n’ont rien à envier à nos politiciens. Avec tout le respect pour l’infime minorité de votre profession, je dois dire que le journalisme à Maurice plane très bas. Au point de me demander avec un niveau pareil, a-t-on besoin de caricatures ?

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