En cette période de festivité, une pause réflexion s’impose sur le monde de relations industrielles et le domaine des droits des salariés. Ceci pour 2 raisons pertinentes. La première est celle que nous venons de célébrer il y a quelques mois de cela, la journée internationale du « Travail Décent, Salaire Décent » et la seconde étant que le ministère de l’Emploi et des Relations industrielles a donné des indications qu’il s’attelle à la tâche de proposer des amendements aux deux textes de lois
Principe, discours et réalité
D’emblée entendons nous sur le concept du ‘travail décent’. Ce dernier est constitutif de quatre principaux éléments, notamment- emploi productif, les droits des travailleurs, la protection sociale et le dialogue social. Ce qui implique une aspiration pour chaque femme et chaque homme d’accéder à des conditions de travail décentes et aussi un objectif de plein emploi qui signifie le travail suffisant pour que chacun/chacune ait accès à une opportunité de rente.
Dans le système globalisé actuel, les leaders politiques, dans les forums internationaux, à l’instar de l’ILO, ratifient, avec éloquence, les conventions construite sur le ‘principe du travail décent’. Mais ils adoptent, sans scrupules, une posture contradictoire en pratique et un comportement enveloppé d’une hypocrisie la plus abjecte, car leurs discours, paroles, et conventions votées restent aux antipodes des codes du travail qu’ils imposent sur le terrain national.
Le vent néolibéral
L’orientation de la politique néolibérale à caractère tricéphale de la ‘flexibilité-dérégulation-privatisation, a relégué le salaire à un composant de simple facteur de production. Un coût qu’il faut comprimer pour rétablir le taux de profit surtout en temps de crise. Ainsi s’ensuit systématiquement, depuis des décennies, un dé-tricotage des codes du travail, de tout ce qui est collectif, un effacement des droits acquis et une redéfinition progressive du contrat de travail au détriment des salariés.
Constat pratique
Concrètement dans le monde du travail et des relations industrielles locales, les travailleurs ont connu le feu ardent de la politique « hire and fire » avec l’embrigadement des deux lois du travail. Synthétiquement en voilà les coups de boutoirs : réduction du préavis de licenciement pour motif personnel ; l’élimination du severance allowance au taux normal, régression des droits et l’assouplissement des procédures en matière de licenciement économique, entre autres la suppression de la compensation requise et l’éradication de la ‘Termination of Contract Service Board’ ; les heures supplémentaires qu’après quatre vingt dix heures de temps de travail et de surcroît, obligatoires dans une façon voilée ; le dimanche perdant son caractère de repos et transformé en jour normal de travail faisant ainsi pâle figure devant le Code Noir de l’époque de l’esclavage.
Mitraillé par ces divers coups de semonces, le monde du travail offre un spectacle fort désolant depuis quelques années. On discerne un drame individuel et collectif, un gonflement du chômage par flux de licenciements. Enfin une calamité sociale pesante sur le dos des travailleurs qui est ressentie en terme de perte de revenue, d’un parcours de combattant dans la recherche solitaire d’un nouveau emploi qui se fait rare, en terme de précarité, d’angoisse, d’anxiété et de peur.
Posture du ministre du travail
Le ministère du Travail constitue le levier politique du domaine industriel. Y a t-il une lueur d’espoir pour un changement possible avec l’arrivée de Soodesh Callychurn à ce poste privilégié ? Le ‘maiden speech’ de ce dernier à l’Assemblée nationale lors des débats sur le discours programme le 3 Mars 2015, se présente comme tout un paradigme qui répond à l’essence du principe du travail décent. Voilà les principes auxquels l’actuel titulaire du maroquin ministériel du monde du travail local prétend y adhérer.
“The effective implementation of the policy measures announced in the Government Programme relating to my Ministry require not only an appropriate legal framework, but also a paradigm shift in our IR culture and a change in the mindset of all the stake holders, namely Employers, Trade Unions and Workers.
I shall, Madam Speaker, be making decent work and social dialogue the corner stone of the labour and industrial relations policies of my Ministry. It is important and even crucial that all our stakeholders, and particularly employers to understand the need to humanize industrial relations, and the need to humanize the workplace where the worker spends the best part and the biggest chunk of his life. More importantly, employers must understand the need to give proper attention to such fundamentals as:- decent wage and decent working conditions, job satisfaction, employee welfare, compliance to Labour Laws and creation of decent jobs amongst others.
As the House may be aware, Decent Work is about equal access to decent employment without discrimination. It is about a living and reasonable wage for workers to allow them and their families to live in dignity. It is also about social protection in case of illness and the normal ups and down which most of us face in life. Decent work is being free from exploitation. It also concerns secure, productive and safer work and lastly, about Freedom of Association and Social Dialogue.
Social Dialogue and Tripartism will, therefore, be further enhanced as fundamental approaches in the search for appropriate response to industrial relations problems.”
Vu le contenu de son discours il apparaît que le ministre a bien saisi l’essence du concept du travail décent et veut en faire son cheval de bataille. Mais qu’en est-il de l’implication pratique de ce ‘paradigm shift’ !
Paradigm Shift….Implication !
Comme élaboré au tout début de ce présent exercice, quand on évoque le ‘travail décent’, cela présuppose l’existence au préalable de cet emploi, même, de droit et accessible à toutes et à tous. Il ne peut y avoir de droit à l’emploi sans suppression de licenciement. Une politique de baquet troué qui comprend la croissance d’emploi tous azimuts d’un coté et le licenciement systématique de l’autre, ne peut être que bancal.
D’ailleurs si le collectif des employeurs détient le monopole de décision qui entraîne l’entreprise à la faillite ou à des gains (stratégie, restructuration, positionnement etc), il reste aberrant que les salariés doivent payer les conséquences désastreuses de ces mêmes décisions dont ils ne sont pas parties prenantes. Il faut entreprendre un débat sur un cadre stratégique visant le long terme. Il faut oser implémenter un concept de ‘continuité du contrat de travail’. L’entreprise est en difficulté, elle se restructure ou elle ferme, MAIS il n’y a pas de licenciement. Le salarié conserve son contrat avec salaire et protection sociale jusqu’à un reclassement effectif sur un emploi équivalent. Le financement d’une telle mise en place reposerait exclusivement de façon mutualisé sur les employeurs en tant que collectif (non individuel). C’est possible car le système actuel de ‘Workfare Program’ ou de ‘recycling fee’, même si c’est dans une manière excessivement partielle, va dans cette direction. Dans ce cadre, à long terme, doit être incrustée dans l’immédiat une panoplie de mesures audacieuses qui permettront aux salariés de garder la tête hors de l’eau.
Amendements des provisions légales à court terme
Dans un premier temps il faut restituer aux salariés les acquis d’avant l’avènement de l’Employment Rights Act et en y ajoutant quelques éléments pertinents. La réintroduction du préavis de licenciement de trois mois, la réinstitution de la TCSB avec un mécanisme de réglementation du litige de licenciement économique en amont et la réintroduction de la compensation de licenciement au taux normal ou une législation implémentant le ‘portable Severance Allowance’ constituent une étape décisive.
En ce qui concerne le licenciement à motif individuel, il est impératif de changer le scénario burlesque et partial autour des comités disciplinaires. Actuellement, en cas de faute alléguée de la part de l’employé, c’est le patron seul titulaire de tous les droits à ce niveau, qui ouvre les procédures, instruit l’affaire, écoute le salarié et décide la sanction qui peut même être une mise à la porte. Il est nécessaire d’aller vers une ségrégation du droit de poursuite et celui de la prononciation de la sanction sous l’égide d’un corps indépendant mis sur pied par le ministère du Travail. De surcroît au niveau du renvoi adjugé injustifié, le cas de figure du droit circonscrit qu’autour de la ‘severance allowance’ et le non-droit à la réintégration, reste une aberration dans le code du travail local. Une modification drastique à ce niveau s’avère nécessaire
Dans un autre ordre d’idée, d’autres éléments doivent être revisités. Le ‘Workfare program’ doit être accessible automatiquement à tout licencié indépendamment du fait que le licenciement est suivi d’une suite civile ou pas. Le paiement du Temporary Unemployment Benefits qui en découle doit être révisé à la hausse pour les licenciés de la tranche d’âge au delà de cinquante ans.
Mais ce qui reste la plus alarmante, c’est la recrudescence du ‘crime économique’ à travers la prolifération des contrats d’embauche à durée déterminée. Les cas notoires sont, entre autres, ceux d’Atol/AML ou Air Mauritius/Airmate, pour ne citer que deux exemples du champ parapublic qui émettent des signaux au secteur privé pour un abus prémédité. Des milliers d’emplois de nature permanente sont proposés sur une base contractuelle déterminée pour esquiver les obligations des coûts des acquis et des prestations liés aux conventions à caractère indéterminé. C’est là carrément, du travail précaire et il faut en finir avec !
Walk the talk
Le tableau que nous avons brossé ici se limite qu’à l’aspect de ‘l’emploi et suppression de l’emploi’ dans le panorama industriel local. Mais ceci avec tous les éléments pervers énoncés plus haut constitue le point focal qui nécessite changement et rectification de tir dans l’immédiat. Cette incursion doit être placée dans une perspective stratégique de plein emploi à long terme certes. Si le ministre Callychurn a pertinemment identifié les plaies et souligné la philosophie qui sous- entend le travail décent dans son discours, « would he walk his talk », dans l’étape de l’implémentation pratique. Tache herculéenne car le « paradigm shift » annoncé dans ce discours s’avère être aux antipodes de la stratégie économique néolibéral du gouvernement l’Alliance Lepep !
Dev Ramano, homme de loi