L’île Maurice veut être reconnue comme un havre paradisiaque, multiculturel avec ses ethnies vivant en parfaite harmonie. Mais loin de cette image de carte postale, se cache une lave ethnocentriste bouillonnante qui se glisse dans toutes les brèches possibles, attendant patiemment la prochaine éruption. A tel point que si Frantz Fanon était des nôtres, il aurait titré son livre ‘République Névrosée’ et Jean-Paul Sartre aurait certainement, dans sa préface, écrit : « On est foutus »
Les appels répétitifs à la tolérance démontrent l’existence certaine de l’intolérance, illuminant au passage la fragilité de notre démocratie. Bizarrement, ce sont les calamités, comme en témoignent les inondations du 30 mars 2013, qui déclenchent un sentiment sporadique de fraternité humaine. Un sentiment qui se dissipe en temps normal, quand la population désigne, tel un regroupement de tribus, comme dirigeant suprême le chef le plus en vue de l’ethnie majoritaire.
L’inculture
Autre indicateur indéniable des réflexes ethno-communautaristes des Mauriciens, c’est son comportement par rapport aux évènements, notamment des conflits ou drames humains ayant lieu dans diverses parties du monde. Le constat est que la population se reconnaît d’abord sur la base de l’identité communautaire et ethnique.
A titre d’exemple, l’ensemble des Mauriciens se dit solidaire des peuples opprimés, mais, aussi étrange que cela paraisse, ceux qui soutiennent la cause palestinienne ne font généralement pas partie de ceux qui dénoncent les génocides, fussent-ils au Sri Lanka, au Rwanda, au Timor oriental ou ailleurs. Tout comme ceux qui scandent ‘Je suis Charlie’ mais s’abstiennent de réagir face aux autres drames se déroulant dans le monde. Quant à la soi-disant élite, certains qui avaient écrit des bouquins bourrés de critiques à l’encontre du régime de Rhodésie, dénonçant expropriation et déportation, trouvent que le petit Aylan Kurdi était trop bien habillé pour être un authentique refugié syrien !
Mais cet état de chose résulte aussi d’une inculture profondément ancrée. Ce qui fait que le repli identitaire est une névrose introduite et maintenue par la méconnaissance, souvent de la culture générale ou par la perversion des enseignements de diverses religions. Revenons à l’exemple de la Palestine : bon nombre de Mauriciens ignorent l’histoire de ce conflit et en ont fait une affaire confessionnelle. Comme nous l’explique Leïla Shahid, déléguée générale de la Palestine auprès de l’Union européenne à Bruxelles, « le conflit n’est pas entre juifs et musulmans. C’est un conflit entre une force d’occupation et un peuple sous occupation ».
D’ailleurs, nos élus qui s’empressent pour amadouer, par pur clientélisme politique, les musulmans lors des célébrations religieuses, ignorent le fait qu’un des premiers combattants de la cause palestinienne était George Habache, un chrétien orthodoxe qui avait fondé le Front populaire de libération de la Palestine.
Transmission idéologique
Au sein de la société mauricienne, la famille continue de jouer un rôle déterminant dans la transmission des orientations idéologiques. Comme leurs aînés, les jeunes choisissent souvent les mêmes croyances, les mêmes idéologies et le même bord politique que leurs parents. Evidemment, comme constaté dans un sondage réalisé en 2014 par Capital auprès de 1 200 individus représentatifs de la population mauricienne, il y a une certaine rupture qui prend le pas et la jeune génération se départit un peu plus chaque jour de cette succession. Mais, il suffit d’un concours de circonstances, ou d’évènements affectant ces individus pour restituer l’ancrage généalogique. Comme dans les cas de conversion ou de reconversion, les jeunes montrent les dispositions les plus extrêmes.
Dans son livre ‘Les Rochers de Poudre d’Or’, Nathacha Appanah nous décrit la ghettoïsation des pouvoirs à l’île Maurice. La romancière mauricienne raconte que « les hindous détiennent aujourd’hui le pouvoir politique et culturel. Les ‘blancs’, qui sont appelés ‘franco-mauriciens’ et ne représentent que 2 ou 3 % de la population, détiennent une grande part du pouvoir économique grâce aux terres et aux fortunes héritées de leurs ancêtres. En revanche, ils sont quasiment absents de la scène politique à proprement parler même si leur puissance économique leur laisse beaucoup d’outils de pression ».
L’impact économique
On sous-estime trop souvent, le rapport entre l’ethno-communautarisme et l’économie dans notre pays. Dans un contexte socio-économique totalement déstructuré, on est aveuglés par les fausses images à l’allure d’un village Potemkine. Les structures de notre économie ‘moderne’ réduisent la vie à une simple fonction ; celle de la recherche d’accumulation illimitée de l’argent, tout en prenant les moyens pour fin. Comme le définit le théoricien allemand Max Weber, ce système fonctionne à l’exclusion, favorise l’ethnocide et détruit tout ce qui lui résiste. Loin du mythe de la main invisible cher aux économistes, ce système donne lieu à une désocialisation concrète et provoque des revendications identitaires. Souvent instrumentalisées par nos politiciens, ces aspirations identitaires se retrouvent dans des projets sociaux et économiques qui frôlent le néofascisme. L’intolérance et l’enfermement, le repli identitaire sont autant de symptômes typiques bien présents chez nous. Cet instinct grégaire grandissant assure un comportement unique chez nous. En effet, nous demeurons l’un des rares pays au monde où l’achat d’une boisson gazeuse ou d’une voiture est dicté par des considérations communautaristes. Autre particularité, ce clientélisme politique qui encourage l’illégalité au détriment d’une économie saine. à titre d’exemple, le traitement de faveur accordé à ceux opérant dans l’économie parallèle, le combat sélectif contre la pauvreté ou encore le vote politique qui équivaut à un choix ethnique. Comme quoi, nous avons sans doute oublié que Rome était une république avant de devenir un empire regroupant des tribus.
Le secret du Lion
Singapour est depuis longtemps le modèle de référence pour l’économie mauricienne. La réussite économique de la Cité-État qui compte plus de 4 millions d’habitants est due grandement à sa capacité de conjuguer avec les innombrables contradictions que soulève une société multiethnique. Singapour est, selon sa Constitution, un Etat séculier, dans le sens où il entend exercer une neutralité à l’égard des différentes religions. Pro-Vice Chancelière à l’Université de Singapour, le Professeur Lily Kong est une passionnée des relations entre l’État et religions. Elle explique que « Singapour est un État séculier dans la mesure où aucune religion n’est identifiée comme religion officielle de l’État. Un principe clé de la politique séculière de l’État est que la religion et la politique doivent être maintenues strictement séparées. Les groupes religieux ne devraient pas s’aventurer en politique et les partis politiques ne devraient pas utiliser les sentiments religieux pour recueillir un soutien populaire. Si des membres de partis politiques participent au processus politique démocratique, ils doivent le faire en tant qu’individus ou membres de partis politiques, pas en tant que dirigeants de groupes religieux ».
D’ailleurs, il faut souligner que contrairement à la République de Maurice, l’un des aspects de la gestion des groupes religieux par l’État à Singapour est le contrôle de l’espace. Avec un territoire exigu, notamment 4,5 millions d’habitants sur près de 700 kilomètres carrés, les autorités s’efforcent pour que celui-ci soit utilisé de façon rationnelle. Entre autres, une planification saine et juste dans l’allocation des superficies déterminées pour la construction de lieux de culte.
Un autre aspect selon le Pr Lily Kong demeure le souci de préserver un équilibre et de respecter des codes de conduite tout en affirmant le principe de la liberté religieuse qui se reflète également dans le traitement de la religion à la télévision de Singapour. « La volonté affichée est de ne pas influencer les téléspectateurs en faveur d’une religion en particulier, mais aussi de se montrer prudent par rapport à tout ce qui pourrait causer des tensions ou ressembler à un dénigrement. L’infraction à ces règles peut se traduire par des amendes pour les médias responsables. La gestion des émissions religieuses est partie intégrante de la façon dont l’État permet aux identités religieuses de s’exprimer, mais leur pose également des limites », affirme Professeur Lily Kong. Voilà qui devrait servir d’inspiration aux politiciens locaux…